Choisir d'etre gay ?

lundi, mai 21, 2007

10. POINT FINAL

Après un an, je vais arrêter d’écrire sur ce blog. Plusieurs amis, tout particulièrement un dont les sages conseils comptent beaucoup pour moi, m’ont incité à le faire. Je voudrais dire pourquoi, en expliquant comment ce blog a été rédigé.

Membre du groupe Aelred depuis de longues années, j’ai été impliqué de près au lancement avec quelques autres amis du site des « Amitiés fraternelles Aelred » (http://frat.aelred.neuf.fr). Les premières réactions ont manifesté que ceux qui le consultaient le trouvaient intéressant sur le fond, mais trop théorique et trop abstrait dans la forme. Malgré les quelques témoignages que propose le site, celui-ci ne « parlait » pas assez à un certain nombre des personnes intéressées. Je me suis donc dit que je pourrais faire servir mon don d’écriture pour suggérer le vécu de quelqu’un qui passe de l’homosexualité, ou du moins de la tentation homosexuelle, à l’amour d’amitié. Nous avons, en effet, acquis la conviction que, dans l’inclination affective qui peut conduire à l’homosexualité, la carence d’intimité identificatrice avec le parent du même sexe peut être compensée par des relations d’amour d’amitié de type fraternel, paternel ou filial. Il fallait faire sentir de l’intérieur à des hommes concernés ce qu’elles pouvaient représenter au plan même de leur affectivité comme alternative concrète par rapport au choix gay.

Comme il s’agissait d’évoquer une palette très large de situations possibles, je n’ai pas pu me contenter de puiser dans ma seule expérience, trop limitée. Utilisant un procédé fréquent dans le roman et bien connu de moi, j’ai mêlé des éléments de ma vie et de celle des autres, en particulier d’autres membres du groupe Aelred. Or, c’est ici qu’a surgi le problème. Le résultat a été littérairement si vraisemblable, que certains lecteurs du blog croient que tout ce qui y est raconté appartient exclusivement à une seule et même personne. Le blog rendait certes plus éloquent le chemin de vie proposé par le site Aelred ; mais, par la part de fiction littéraire qu’il comportait, il risquait de pouvoir entretenir une équivoque d’inauthenticité et d’insincérité, si son procédé romanesque n’était pas dévoilé. Voilà qui est fait.

Pourquoi donc arrêter ce blog ? Tout d’abord parce que son auteur, ayant fini de pouvoir puiser dans ses souvenirs personnels, a moins d’inspiration quand il s’agit de bâtir un récit uniquement à partir des témoignages d’autres personnes. Plus profondément, parce que ce récit m’a été inspiré par le cheminement que nous essayons de faire avec d’autres amis à la suite d’Aelred de Rievaulx. Il reflète donc l’empathie affective qui est commune à tous les membres de notre groupe, d’autant plus que chacun de ses chapitres a été échangé pour consultation entre certains d’entre nous avant d’être publié. Sur la base d’une même sensibilité, on risque d’attribuer à tel ou tel tout ce qui y est raconté. Cette possible équivoque ne devait pas être entretenue.

Par ailleurs, j’ai essayé ici de faire toucher du doigt à des hommes venant de la pratique homosexuelle, et même de la vie gay, ce que peut être le passage à l’amour d’amitié. Chacune des histoires que j’ai racontées ici décrit concrètement le vécu de celui ou de ceux qui se trouvent à l’une ou l’autre étape de ce cheminement. Or ce vécu peut apparaître comme ce qu’il n’est pas : un idéal exemplaire. Cela risque d’entraîner deux dangers contraires mais symétriques. Soit une confusion entre ce qui n’est qu’une étape dans le cheminement existentiel de quelqu’un qui vient de loin, d’une part, et, d’autre part, une norme de perfection vertueuse. Soit, à l’opposé, un découragement chez ceux qui n’arrivent pas à vivre ainsi l’amour d’amitié, alors qu’ils ont à le découvrir par leur chemin à eux. Il est donc apparu que ce qui était destiné à être une illustration suggestive risque d’être pris pour un modèle à imiter. Il fallait donc s’expliquer et ne pas poursuivre cet agencement romanesque de témoignages réels, une fois le procédé littéraire mis à jour.

Cela dit, si on en juge par de nombreux témoignages, ce blog tel qu’il est aide malgré tout de nombreux hommes qui hésitent devant le choix d’une vie gay ou qui essayent de sortir de celle-ci. C’est pourquoi je le laisse en l’état, sans pour autant le poursuivre, souhaitant qu’il puisse continuer à être un signe d’espoir pour ceux qui tomberont sur lui en surfant sur Internet au milieu des sites gays. Un signe qui les renvoie vers le site d’Aelred (http://frat.aelred.neuf.fr), où ils trouveront des amis pour les accueillir et les épauler fraternellement.

vendredi, mars 30, 2007

9. Le fils perdu et retrouvé

Je l’ai retrouvé.

Nathanaël avait croisé ma vie il y a une quinzaine d’années, quand il n’était encore qu’un tout jeune homme. Il ne m’avait rien dit de son drame familial, ni de la blessure inguérissable qu’il lui avait laissée. Pourtant, je percevais avec une douloureuse acuité que sa carapace protectrice, ce personnage d’étudiant sérieux et bien sous tous rapports, cachait un cœur d’une extrême vulnérabilité. Je lui dis un jour de ne pas faire comme les insectes dont le squelette, tout extérieur, enveloppe une chair sans consistance. Cette coque a beau être dure, quand elle cède, l’intérieur de l’insecte se répand à l’état liquide. Je l’invitais à être un humain, quelqu’un à la peau sensible et vulnérable, mais à la chair charpentée par le squelette de l’intérieur. Dans nos échanges d’alors, j’essayais à maintes reprises de lui tendre une perche pour qu’il m’ouvre son cœur dans la confiance. En vain. J’avais l’impression qu’il était incapable de regarder en face l’enfant blessé qu’il portait en lui et qui pourtant me regardait tristement du fond de ses yeux, à son insu. Sa belle virilité, au demeurant naturelle et juste, lui permettait de se masquer à lui-même, sous le voile de la pudeur, son malheur d’enfant et la détresse affective qui en découlait.

Je sentais bien que Nathanaël voulait oublier ce passé présent en lui, le fuir dans une vie « normale », sans même se demander si son malheur ne le rattraperait pas sous une autre forme. En même temps, sous ses attitudes trop volontaires pour être spontanées, tout trahissait en lui un cœur désemparé. Je sentais donc peser sur nos longs échanges le silence lourd de ce qui ne pouvait être dit, ni même reconnu. Le cœur serré, je le vis partir un jour sur un chemin où, je le savais il ne tarderait pas à retrouver pour son malheur cette fragilité qu’il voulait fuir. En effet, nul ne peut sauter par-dessus son ombre et on ne se quitte pas comme on quitte une ville. Devoir le laisser aller au casse-pipe, sans pouvoir lui dire un mot, fut le plus dur. De loin, j’appris plus tard la blessure de la vie, puis celle du corps qui en résulta. Je me représentais ses souffrances et ma propre impuissance à lui venir en aide augmentait ma douleur. Je mesurai alors combien je l’aimais. J’acceptai aussi de devoir attendre en silence, comme le père de l’enfant prodigue, son improbable retour.

De longues années passèrent. Un jour j’ai reconnu au téléphone sa voix grave et mon cœur a fait un bond. Il m’appelait parce qu’il venait d’aimer passionnément quelqu’un et que cet amour impossible l’avait ravagé. Il savait que je pourrais le comprendre et l’aider. Il se croyait perdu, parce que sa carapace avait été percée. Moi, je savais au contraire qu’il commençait à être sauvé du personnage d’homme invulnérable qui l’emprisonnait depuis tant d’années. J’ai pu commencer à lui dire tout ce que je gardais dans mon cœur pour lui depuis une quinzaine d’années. Non seulement il reçoit, mais il comprend. Non sans que cela déstabilise parfois dans sa pudeur masculine le garçon timide qu’il est. Je le sens, dans l’intimité de nos longues conversations téléphoniques du soir, à ces moments où sa voix s’enroue soudain d’émotion et me signale que j’ai touché le cœur par delà sa cuirasse protectrice.

A travers un film superbe, Le temps d’un week-end d’Al Pacino, je lui ai proposé de l’« adopter » dans une relation affective dans laquelle on se choisirait réciproquement comme fils et père. Il a accepté, mais je sens qu’il a parfois peur du bonheur que cette intimité de cœur, à la douceur inconnue de lui jusqu’ici, nous apporte à l’un comme à l’autre. Il me dit redouter les souffrances qu’il pourrait me causer à l’avenir, alors que j’ai consenti d’avance à cette rançon. Le voir acquiescer chaque fois plus au bonheur d’être aimé et d’aimer en retour est ma joie de père. J’ai retrouvé le fils de ma jeunesse, celui que j’aurais pu concevoir au tout début de ma vie adulte. J’avais su que c’était lui et, avant que je puisse le lui dire, il est parti pour la région lointaine de la dénégation. Maintenant je l’ai retrouvé. Je ne crois pas qu’il y ait un bonheur plus grand. Ah, si les gays pouvaient comprendre qu’ils trouveraient, dans l’adoption d’un jeune adulte, un épanouissement de leur légitime désir de paternité bien plus réel que dans une hasardeuse « homoparentalité » ! C’est au moment où il doit devenir un homme qu’un garçon a le plus besoin de son père. Si sa propre paternité d’origine a été boiteuse, n’a-t-il pas le droit de choisir un père adoptif qui le reconnaisse et en qui il se reconnaisse ?

mardi, janvier 16, 2007

8. Aimer en position de père

Ces derniers temps j’ai eu à raisonner et à réconforter Antoine, qui était désolé par ce qu’il a ressenti comme une dérobade et un retrait de confiance de la part de son jeune ami Renaud. Il me disait à peu près ceci :

"Tu sais, et Renaud sait, que je ne désire pas to have sex with him, comme disent les Américains. Néanmoins, il arrive que nous partagions ensemble des moments d’intimité aussi au niveau du corps. Nous savons que nos caresses nous apportent la tendresse d’une manière qui, non seulement n’excite pas la pulsion sexuelle, mais au contraire l’apaise en rassurant le cœur. Le désir monte, s’offre à l’autre en un signe corporel d’affection, puis trouve son apaisement par le seul fait que la tendresse de l’ami vous accueille dans l’amour. L’amour se porte vers l’aimé à travers l’émotion du corps et, se voyant reçu et correspondu, se repose en lui. Ce mouvement du désir se répète en plusieurs vagues successives et fait entrer notre cœur, de plus en plus rasséréné, dans un repos infiniment plus profond que la petite mort qui suit le plaisir sexuel. Renaud sait que c’est vrai, car il a pu l’expérimenter plusieurs fois avec moi et il en a retiré, de son propre aveu, un grand bonheur d’amour d’amitié. Et pourtant, il se retient encore, sans donner d’explications, d’offrir tout son corps à cette tendresse, dont il sent par ailleurs qu’elle lui apporte le repos du cœur et l’apaisement des sens.
De mon côté je vis cette dérobade comme un refus de confiance. C’est comme s’il avait à se protéger de moi dans une partie de lui-même, comme si ma tendresse pouvait constituer une menace pour ce qu’il a de plus vulnérable dans son corps. Le voir glisser alors dans l’inertie passive, voire dans le sommeil, me laisse l’impression qu’il redoute sa sensibilité parce qu’en fait il n’est pas porté dans l’amour vers la personne de son ami, mais qu’il rêvasse plutôt du côté de ses fantasmes. Le sentir se rétracter ainsi, au moment même où ses paroles et se gestes viennent d’affirmer hautement le désir de se donner, me fait craindre qu’il ne se paie de mots et que son amour pour moi ne soit en réalité qu’un amour de tête. Cela ne m’est-il pas confirmé quand je vois, sur un site d’Internet spécialisé pour cela, qu’il m’a supprimé sans me le dire de sa liste de contacts sur son chat MSN et qu’il m’y a même "bloqué" pour que je ne le voie pas quand il est en ligne et que je ne puisse venir le déranger quand il chatte avec d’autres personnes. Lui, en revanche, pouvant venir chatter avec moi quand il veut, bien sûr. Ces soupçons rouvrent en moi la blessure d’abandon que nous portons tous en nous et, sans me plaindre, je me replie sur moi et en silence lui ferme mon cœur. J’ai beau chercher à rester extérieurement le même, il le devine et cela le met sans doute à son tour dans l’insécurité. Je crois que, dans ce cas, ni l’un ni l’autre nous ne savons que faire, car les paroles rassurantes que nous échangeons ensuite sonnent faux".

J’ai répondu à Antoine que je ne pouvais entièrement le détromper, car la jeune génération d’aujourd’hui, qui au départ de la vie n’a pas eu une famille digne de confiance, surfe trop sur une culture individualiste de libre-service et de chat pour ne pas être attirée malgré elle dans une spirale d’égocentrisme féroce. Néanmoins, ce narcissisme doit sans doute beaucoup à la fragilité psychologique de jeunes dépourvus d’éducation parentale et de véritable culture. Il faut donc se garder de le mettre intégralement au compte du manque de cœur. Au lieu de récriminer contre eux et de menacer de les laisser tomber, ce qui ne ferait qu’affoler leur fragilité affective, prenons de sages résolutions au sujet de la manière dont nous nous positionnons à leur égard. Tout d’abord ne soyons jamais en situation de demandeurs. Ils ne peuvent pas s’empêcher de profiter des relations où nous sommes en dépendance par rapport à eux, voire de les susciter, en fait plus pour se rassurer sur notre attachement que par perversité. Ne cédons en rien à ce petit jeu de séduction-abandon, tout en leur témoignant une affection persévérante, mais seulement au nom d’une fidélité librement accordée. Comme toute personne ayant à aimer de manière paternelle, n’attendons pas grand-chose d’eux pour nous-mêmes, en sorte que dans ce domaine ils ne puissent nous surprendre qu’en bien.
Alors, nos attentes et nos demandes à nous, à qui donc les porter ? A quelqu’un dans nos âges. Lui comprendra.

samedi, décembre 02, 2006

7. Il suffit de se baisser

Une fois de plus l’amour d’amitié se présente dans ma vie d’une manière inattendue : un cri sur ce blog. Non pas, comme pour Tristan, un cri de détresse, mais une vigoureuse profession de foi et d’espérance en l’amour, lancée avec un tel élan que j’ai cru tout d’abord qu’elle exprimait l’intrépidité un peu téméraire d’un jeune homme. Mais, je me trompais. Oh surprise, c’est bien un homme de ma génération qui parlait avec une conviction que les épreuves de la vie ont dépouillée sans l’user ! Celui qui fut dans sa jeunesse un provocateur a acquis la sagesse que donne l’expérience, sans perdre pour autant l’innocence et l’élan du cœur propres à celle-ci. Il en a même gardé l’humour et le goût pour la taquinerie malicieuse et tendre.

Comment se fait-il que j’aie perçu dans son cri un appel personnel, comme s’il frappait à ma porte ? Je ne sais. Mais le fait est que je ne me suis pas trompé : il est bien l’ami mûr qui arrive comme ce frère de quelques années plus jeune, qui à nos âges est devenu un égal. Parce que nous avions l’un et l’autre depuis longtemps laissé tomber toute image à priori de l’ami attendu, nous nous sommes accueillis, découverts et choisis avec une extrême simplicité. Humblement, comme des pauvres émerveillés devant un cadeau auquel ils n’avaient pas droit. Je pressens que notre amitié sera placée sous le signe de cette simplicité qui lui est si spontanée. Plaise au ciel qu’elle ne s’accompagne pas, comme souvent dans mes amitiés antérieures, d’un éloignement géographique ! Mais, même si ce devait être le cas, je crois que ni l’un ni l’autre nous ne regretterions d’être devenus amis et que, comme pour mes autres amitiés, ce sera à la fois de manière non-exclusive et pour la vie. Notre automne, comme celui de cette année, se résiste à céder la place à l’hiver. Je ne peux pas en dire plus : les gens heureux n’ont pas d’histoire.

Cette rencontre me fait prendre conscience une fois de plus de ce que l’amour d’amitié est beaucoup plus à portée de la main qu’on ne le croit. Un ami me disait jadis : « Mais il suffit de se baisser pour le prendre !». Oui, justement : c’est à portée de la main, mais il faut se baisser. Autrement dit, il faut l’accueillir humblement, avec un cœur pauvre. C’est la vanité ou l’orgueil qui nous maintient durablement hors de l’amour d’amitié, car elle nous empêche de voir qu’il est souvent à notre porte silencieusement, trop discret pour oser y frapper bruyamment. Vanité, dans le fait d’exiger de l’autre qu’il corresponde à un type à priori, qui me renvoie une image valorisante de moi-même. Or ce n’est qu’en commençant à l’aimer que l’on découvre la séduction la plus personnelle de l’ami. C’est ici, en effet, que le piège de comportements fréquents dans les mœurs gays est particulièrement redoutable. Les femmes qui aiment des femmes mettent, elles, plus de cœur dans leurs relations, si j’en juge par les histoires que reflète Hélène de Monferrand dans ses romans, Les amies d’Héloïse et surtout Le journal de Suzanne , que je trouve particulièrement touchant. Orgueil, dans le fait de ne pas vouloir se reconnaître humblement demandeur, j’ose dire mendiant, de l’amour d’un autre, amour que l’on ne peut recevoir que comme un don immérité. Ce piège guette surtout ceux qui se sentent humiliés par leur besoin d’affection masculine et se réfugient dans la dénégation en affichant une hétérosexualité de macho. Le jour où ils craquent ils vont nourrir les rangs de ces nombreux bisexuels qui cachent des passades homosexuelles compulsives sous une virilité affectée, voire sous des discours homophobes.

Avec mes frères et mes amis je voudrais pouvoir dire non seulement de parole mais surtout par nos vies notre humble conviction : « Nous avons connu l’amour et nous y avons cru ».

mercredi, octobre 25, 2006

6 « L’homme de sa vie ».

Le film qui porte ce titre vient de sortir ce mois-ci sur les écrans. Il est réalisé par Zabou Breitman avec Bernard Campan et Charles Berling. A priori on aurait pu craindre le pire. Un ami me dit qu’il redoutait une version actualisée du pervers « Théorème » de Pasolini. En effet Hugo, qui se présente en « pédé provocateur », personnage joué de manière crédible par Charles Berling, fait bien penser au début au prédateur-libérateur pasolinien. Il a visiblement « flashé » sur son voisin Frédéric et s’apprête à ne faire qu’une bouchée de lui entre deux passades avec un éphèbe ramené d’une discothèque gay.
Et puis voici que l’amitié s’invite à leurs interminables conversations nocturnes sous le ciel d’été de la Drôme. S’approfondissant en amour d’amitié, elle va les déstabiliser l’un et l’autre dans leur précaire équilibre de vie : la monotone alternance de Hugo entre esthétisme et drague, le train-train petit-bourgeois de Frédéric entre une famille agglutinante et une femme avec qui les rapports sexuels commencent à tomber en panne faute de vraie rencontre personnelle. Ce bouleversement du cœur va permettre à Hugo de rejoindre dans le pardon son père mourant jusqu’à se blottir contre lui comme un enfant, accomplissant enfin le geste de tendresse tant réprimé jusque là. C’est sans doute que ce geste est celui que Frédéric a posé sur lui en venant appuyer sa tête contre la sienne. Il est remarquable qu’au fur et à mesure qu’un contact de tendresse s’établit entre leurs corps, Hugo se libère d’un besoin de drague homosexuelle jusque là compulsif, sans pour autant désirer Frédéric sexuellement. De son côté celui-ci découvre à partir de cette tendresse d’amitié avec Hugo qu’il ne sert à rien de vouloir réussir à nouveau ses actes sexuels avec sa femme, s’il ne rebâtit pas d’abord une vraie relation de cœur avec elle.
Ce film me semble représenter l’antithèse du « Secret de Brokeback Mountain », qui avait fait tant de bruit il y a quelques mois. Piégés par la pression sociale, mais tout autant par leur incapacité à l’amour d’amitié, les deux cow-boys se voyaient voués à une passion destructrice incapable de s’exprimer autrement que dans la violence de la pulsion sexuelle. Il me semble significatif que tant de ceux qui mènent une vie gay se soient reconnus dans leur destinée tragique. Je me demande qui se reconnaîtra en Hugo et en Frédéric. Si peu d’hommes ont eu l’occasion de faire le cheminement de Hugo et de Frédéric !

C’est ce que je me disais en répondant à Jean-David qui me demande « d’ouvrir son intelligence », laquelle ne comprend pas pourquoi l’amour d’amitié entre hommes amène spontanément à laisser tomber les relations sexuelles. « De mon côté, lui ai-je écrit, je ne suis pas sûr que je puisse faire ce que tu me demandes autrement que par le témoignage de ce blog. En fait ce n'est pas un problème intellectuel. Quand tu me dis que tu cherches "une relation où les corps communient" dans un "embrasement et une étreinte de don", j'ai envie de te dire que c'est cela même que j’ai connu, mais de manière apaisante et durable, dans les échanges corporels de tendresse au sein de l'amour d'amitié. Mais, comme je ne puis te demander de me croire sur parole, il ne me reste qu’à espérer qu'il te soit donné d'expérimenter cela avec quelqu'un qui t'aimera de cette manière. Ce n'est qu'à lui que tu pourras peut-être dire un jour du fond du cœur: "Mon plaisir c'est toi, non la jouissance que je pourrais chercher à tirer de toi!".
De même tu me dis que la sexualité entre deux hommes ne conduit pas nécessairement à l'instrumentalisation de l'autre. D’après mon expérience personnelle, celle-ci n'apparaît qu'au bout d'un moment, avec le besoin d'activer le mécanisme de la jouissance qui s'émousse, et elle n'est perçue que par des personnes qui s'aiment avec une grande profondeur et intensité spirituelle. Ceux qui se sont installés dans un "couple homo" pépère ne s'en aperçoivent même pas et se contentent de tolérer des passades, récurrentes chez l'un et l'autre des conjoints, sur lesquelles ils ferment les yeux pour ne pas se retrouver seuls. Comme je l'ai dit, assumer la part de solitude d'une vie de célibataire me semble une condition nécessaire pour vivre l'amour d'amitié entre hommes. L'ami, n'étant pas un conjoint, est aimé pour lui-même, dans sa vie à lui, et non comme un remède à notre angoisse de solitude et d’abandon. Mais, là aussi, seule l'expérience t'instruira avec le temps, si tu veux bien accueillir ses leçons. Tout ce que je pourrais te dire maintenant sonnerait encore à tes oreilles comme "irréel et presque virtuel" ».

lundi, octobre 16, 2006

5 Qui ose encore croire à l’amour ?

L’automne m’apporte un de ces fruits d’arrière-saison particulièrement doux. C’est une réponse inattendue au message de cet été, dans lequel je demandais s’il y avait quelqu’un qui ne cherchât pas du sexe mais à partager avec un ami de la tendresse dans la communion du cœur. Les réponses reçues m’avaient désolé. Elles venaient d’hommes mûrs dont la capacité d’aimer avait été asséchée par la recherche – au demeurant décevante – du plaisir. Comme pour m’arracher à mon humeur chagrine, voici qu’est arrivé ce post comme une divine surprise.

Divine est sans doute le qualificatif qui lui convient, car je pressens que le mot de « providence » ne se trouve pas par hasard dans ce post. Renaud Camus, qui n’est pourtant pas un enfant de chœur, a fait remarquer fort justement dans une page de son journal de ces dernières années que chaque fois que dans ses rencontres quelqu’un parle d’amour, il s’agit d’un chrétien. J’aime la sincérité de Renaud Camus, comme celle de Michel Houellebecq : ils ne cherchent pas à nous faire croire que le plaisir sexuel nous emmène au septième ciel. Avec Benoît Duteurtre il fait partie de ces « écrivains homosexuels » récents qui décrivent la vie gay sans en cacher toute la part de frustrations et de misères qu’elle charrie, mais sans tomber pour autant dans le sombre nihilisme qu’étalaient complaisamment à ce sujet il y a une décennie un Hervé Guibert ou un Cyril Collard. A la différence de ces derniers, fascinés par la face morbide et mortifère de la perversion recherchée comme telle, ils la subissent comme une pauvreté. Aussi leur littérature laisse-t-elle pressentir comme une nostalgie de ce que pourrait être l’amour d’amitié. Ils l’ont certainement entrevu et, même s’ils ne sont pas (encore ?) prêts à lâcher la course au plaisir pour l’obtenir, ils le regrettent car ils pressentent que le vrai bonheur est sans doute de ce côté. Quel roman marquera-t-il en ce début de siècle un tournant analogue à celui par lequel Chateaubriand fit passer ses contemporains de Choderlos de Laclos et du marquis de Sade à la virginité d’Attala ?

Voilà qu’un cœur jeune, sans doute un cœur de jeune homme, ose s’adresser à moi au nom de l’amour et de la tendresse. Mais au fond n’est-ce pas le désir premier et plus profond du cœur de l’homme ? N’est-ce pas cette demande que beaucoup ont d’abord essayé en vain de faire entendre avant de se résigner à la laisser étouffer sous le béton du plaisir dans la vie gay ? Voilà sans doute, avec ma qualité d’enseignant, ce qui explique que de mes trois amis de cœur les deux derniers se trouvent être des jeunes. Je ne les ai pourtant pas recherchés pour leur jeunesse. Dans l’amour d’amitié ce type d’amitié socratique me semble exiger de l’aîné, comme Allan Bloom l’a rappelé dans "Amour et amitié", un renoncement qui relève de la paternité. Elle explique la réserve de Socrate, qui a toujours refusé de coucher avec Alcibiade, à l’étonnement déçu de celui-ci. C’est pourquoi j’aimerais pour ma part rencontrer un ami de mon âge qui puisse encore croire à l’amour. Hélas, peu d’hommes de ma génération osent dépasser la nostalgie de celui-ci, celle dont parlent si bien Renaud Camus ou Benoît Duteurtre. La plupart d’entre eux sont depuis longtemps des retraités de l’amour et ne songent plus qu’aux dernières bribes de plaisir qu’ils peuvent encore glaner à leur âge. Quand ils n’appellent pas amour le besoin qu’ils ont de séduire un plus jeune pour oublier qu’ils deviennent vieux. Dans le domaine du cœur mon automne semble donc voué à soutenir des printemps incertains. J’en suis heureux, et pourtant j’aurais aimé partager les flamboiements de l’été indien, car la lumière d’automne est bien belle près de l’Océan. Dommage !

mercredi, août 16, 2006

4 Cette solitude, qui n’est pas esseulement

Perceval est parti, non pas de ma vie mais de ma ville. Je dois apprendre à vivre avec lui au loin, comme je l’ai fait auparavant avec David et avec Tristan. Réapprendre la solitude du cœur, qui n’est pas l’esseulement. Ce dont je me libère le plus difficilement dans la tentation homosexuelle c’est de la peur de la solitude, toujours ressentie à un certain degré comme un abandon. C’est une vieille angoisse d’enfant. Quand j’étais petit, je faisais toujours le même cauchemar : je me réveillais un matin et l’appartement était totalement désert ; les miens étaient partis et m’avaient oublié derrière eux. A chaque fois je dois donc me remettre à apprivoiser ma solitude en découvrant qu’elle n’est pas esseulement, mais le recueillement indispensable pour se donner vraiment à ceux que l’on veut aimer.

Sans intériorité, donc sans solitude assumée, je ne vois pas pour moi de véritable amour d’amitié possible. Tout ce que la passion a de fusionnel, dans la pulsion physique et plus encore affective, menace l’amitié durable. Un tel désir a comme objet, non pas l’autre dans sa réalité personnelle, mais l’image que je m’en fais et à travers laquelle je cherche à coïncider avec un moi idéalisé. Image qui est donc idole. Sa poursuite est lourde de déceptions, d’implosions et de ruptures à venir. Seule l’acceptation de la part solitude que me réserve la vie peut m’en délivrer. Après les grandes eaux de l’amour d’amitié, il me faut apprendre à nouveau que la marée basse précède nécessairement la pleine mer. Seul le dépouillement et l’intériorité me permettront de me donner à nouveau en vérité. Il faut endurer cette part de désolation qui me libère de l’idolâtrie de moi-même pour me tourner vers la présence de l’Autre.

Entre temps j’ai laissé cette annonce dans une messagerie : « Y a-t-il quelqu’un ici qui ne cherche pas du sexe, mais qui désirerait partager avec un ami de la tendresse dans la communion du cœur ? ». Dans un tel lieu je sais que ce ne peut être qu’une bouteille à la mer. A preuve les réponses de ceux qui me contactent en n’ayant de toute évidence pas lu attentivement mon annonce ou pas voulu comprendre ce qu’elle disait. Ceux-là veulent à tout prix combler le vide sexuel de leur mois d’août. Je sais néanmoins que l’homme est plus assoiffé d’amour authentique que de plaisir. Quelques uns osent se l’avouer et me le dire. Cela donne parfois des échanges assez personnels par mail ou par chat. Mais comme il est difficile malgré tout de les convaincre de lâcher l’idole d’eux-mêmes qu’ils traquent à travers leur désir de fusion affective ! Ils sont comme des enfants agrippés à leur nounours, qu’ils veulent emmener à tout prix avec eux dans leur lit pour apaiser leur angoisse. Comment leur faire comprendre que seule la solitude acceptée et l’intériorité nous permettent de nous donner ensuite à un autre à partir de ce que nous avons de plus vrai et de plus personnel ?