samedi, décembre 02, 2006

7. Il suffit de se baisser

Une fois de plus l’amour d’amitié se présente dans ma vie d’une manière inattendue : un cri sur ce blog. Non pas, comme pour Tristan, un cri de détresse, mais une vigoureuse profession de foi et d’espérance en l’amour, lancée avec un tel élan que j’ai cru tout d’abord qu’elle exprimait l’intrépidité un peu téméraire d’un jeune homme. Mais, je me trompais. Oh surprise, c’est bien un homme de ma génération qui parlait avec une conviction que les épreuves de la vie ont dépouillée sans l’user ! Celui qui fut dans sa jeunesse un provocateur a acquis la sagesse que donne l’expérience, sans perdre pour autant l’innocence et l’élan du cœur propres à celle-ci. Il en a même gardé l’humour et le goût pour la taquinerie malicieuse et tendre.

Comment se fait-il que j’aie perçu dans son cri un appel personnel, comme s’il frappait à ma porte ? Je ne sais. Mais le fait est que je ne me suis pas trompé : il est bien l’ami mûr qui arrive comme ce frère de quelques années plus jeune, qui à nos âges est devenu un égal. Parce que nous avions l’un et l’autre depuis longtemps laissé tomber toute image à priori de l’ami attendu, nous nous sommes accueillis, découverts et choisis avec une extrême simplicité. Humblement, comme des pauvres émerveillés devant un cadeau auquel ils n’avaient pas droit. Je pressens que notre amitié sera placée sous le signe de cette simplicité qui lui est si spontanée. Plaise au ciel qu’elle ne s’accompagne pas, comme souvent dans mes amitiés antérieures, d’un éloignement géographique ! Mais, même si ce devait être le cas, je crois que ni l’un ni l’autre nous ne regretterions d’être devenus amis et que, comme pour mes autres amitiés, ce sera à la fois de manière non-exclusive et pour la vie. Notre automne, comme celui de cette année, se résiste à céder la place à l’hiver. Je ne peux pas en dire plus : les gens heureux n’ont pas d’histoire.

Cette rencontre me fait prendre conscience une fois de plus de ce que l’amour d’amitié est beaucoup plus à portée de la main qu’on ne le croit. Un ami me disait jadis : « Mais il suffit de se baisser pour le prendre !». Oui, justement : c’est à portée de la main, mais il faut se baisser. Autrement dit, il faut l’accueillir humblement, avec un cœur pauvre. C’est la vanité ou l’orgueil qui nous maintient durablement hors de l’amour d’amitié, car elle nous empêche de voir qu’il est souvent à notre porte silencieusement, trop discret pour oser y frapper bruyamment. Vanité, dans le fait d’exiger de l’autre qu’il corresponde à un type à priori, qui me renvoie une image valorisante de moi-même. Or ce n’est qu’en commençant à l’aimer que l’on découvre la séduction la plus personnelle de l’ami. C’est ici, en effet, que le piège de comportements fréquents dans les mœurs gays est particulièrement redoutable. Les femmes qui aiment des femmes mettent, elles, plus de cœur dans leurs relations, si j’en juge par les histoires que reflète Hélène de Monferrand dans ses romans, Les amies d’Héloïse et surtout Le journal de Suzanne , que je trouve particulièrement touchant. Orgueil, dans le fait de ne pas vouloir se reconnaître humblement demandeur, j’ose dire mendiant, de l’amour d’un autre, amour que l’on ne peut recevoir que comme un don immérité. Ce piège guette surtout ceux qui se sentent humiliés par leur besoin d’affection masculine et se réfugient dans la dénégation en affichant une hétérosexualité de macho. Le jour où ils craquent ils vont nourrir les rangs de ces nombreux bisexuels qui cachent des passades homosexuelles compulsives sous une virilité affectée, voire sous des discours homophobes.

Avec mes frères et mes amis je voudrais pouvoir dire non seulement de parole mais surtout par nos vies notre humble conviction : « Nous avons connu l’amour et nous y avons cru ».