Choisir d'etre gay ?

mercredi, octobre 25, 2006

6 « L’homme de sa vie ».

Le film qui porte ce titre vient de sortir ce mois-ci sur les écrans. Il est réalisé par Zabou Breitman avec Bernard Campan et Charles Berling. A priori on aurait pu craindre le pire. Un ami me dit qu’il redoutait une version actualisée du pervers « Théorème » de Pasolini. En effet Hugo, qui se présente en « pédé provocateur », personnage joué de manière crédible par Charles Berling, fait bien penser au début au prédateur-libérateur pasolinien. Il a visiblement « flashé » sur son voisin Frédéric et s’apprête à ne faire qu’une bouchée de lui entre deux passades avec un éphèbe ramené d’une discothèque gay.
Et puis voici que l’amitié s’invite à leurs interminables conversations nocturnes sous le ciel d’été de la Drôme. S’approfondissant en amour d’amitié, elle va les déstabiliser l’un et l’autre dans leur précaire équilibre de vie : la monotone alternance de Hugo entre esthétisme et drague, le train-train petit-bourgeois de Frédéric entre une famille agglutinante et une femme avec qui les rapports sexuels commencent à tomber en panne faute de vraie rencontre personnelle. Ce bouleversement du cœur va permettre à Hugo de rejoindre dans le pardon son père mourant jusqu’à se blottir contre lui comme un enfant, accomplissant enfin le geste de tendresse tant réprimé jusque là. C’est sans doute que ce geste est celui que Frédéric a posé sur lui en venant appuyer sa tête contre la sienne. Il est remarquable qu’au fur et à mesure qu’un contact de tendresse s’établit entre leurs corps, Hugo se libère d’un besoin de drague homosexuelle jusque là compulsif, sans pour autant désirer Frédéric sexuellement. De son côté celui-ci découvre à partir de cette tendresse d’amitié avec Hugo qu’il ne sert à rien de vouloir réussir à nouveau ses actes sexuels avec sa femme, s’il ne rebâtit pas d’abord une vraie relation de cœur avec elle.
Ce film me semble représenter l’antithèse du « Secret de Brokeback Mountain », qui avait fait tant de bruit il y a quelques mois. Piégés par la pression sociale, mais tout autant par leur incapacité à l’amour d’amitié, les deux cow-boys se voyaient voués à une passion destructrice incapable de s’exprimer autrement que dans la violence de la pulsion sexuelle. Il me semble significatif que tant de ceux qui mènent une vie gay se soient reconnus dans leur destinée tragique. Je me demande qui se reconnaîtra en Hugo et en Frédéric. Si peu d’hommes ont eu l’occasion de faire le cheminement de Hugo et de Frédéric !

C’est ce que je me disais en répondant à Jean-David qui me demande « d’ouvrir son intelligence », laquelle ne comprend pas pourquoi l’amour d’amitié entre hommes amène spontanément à laisser tomber les relations sexuelles. « De mon côté, lui ai-je écrit, je ne suis pas sûr que je puisse faire ce que tu me demandes autrement que par le témoignage de ce blog. En fait ce n'est pas un problème intellectuel. Quand tu me dis que tu cherches "une relation où les corps communient" dans un "embrasement et une étreinte de don", j'ai envie de te dire que c'est cela même que j’ai connu, mais de manière apaisante et durable, dans les échanges corporels de tendresse au sein de l'amour d'amitié. Mais, comme je ne puis te demander de me croire sur parole, il ne me reste qu’à espérer qu'il te soit donné d'expérimenter cela avec quelqu'un qui t'aimera de cette manière. Ce n'est qu'à lui que tu pourras peut-être dire un jour du fond du cœur: "Mon plaisir c'est toi, non la jouissance que je pourrais chercher à tirer de toi!".
De même tu me dis que la sexualité entre deux hommes ne conduit pas nécessairement à l'instrumentalisation de l'autre. D’après mon expérience personnelle, celle-ci n'apparaît qu'au bout d'un moment, avec le besoin d'activer le mécanisme de la jouissance qui s'émousse, et elle n'est perçue que par des personnes qui s'aiment avec une grande profondeur et intensité spirituelle. Ceux qui se sont installés dans un "couple homo" pépère ne s'en aperçoivent même pas et se contentent de tolérer des passades, récurrentes chez l'un et l'autre des conjoints, sur lesquelles ils ferment les yeux pour ne pas se retrouver seuls. Comme je l'ai dit, assumer la part de solitude d'une vie de célibataire me semble une condition nécessaire pour vivre l'amour d'amitié entre hommes. L'ami, n'étant pas un conjoint, est aimé pour lui-même, dans sa vie à lui, et non comme un remède à notre angoisse de solitude et d’abandon. Mais, là aussi, seule l'expérience t'instruira avec le temps, si tu veux bien accueillir ses leçons. Tout ce que je pourrais te dire maintenant sonnerait encore à tes oreilles comme "irréel et presque virtuel" ».

lundi, octobre 16, 2006

5 Qui ose encore croire à l’amour ?

L’automne m’apporte un de ces fruits d’arrière-saison particulièrement doux. C’est une réponse inattendue au message de cet été, dans lequel je demandais s’il y avait quelqu’un qui ne cherchât pas du sexe mais à partager avec un ami de la tendresse dans la communion du cœur. Les réponses reçues m’avaient désolé. Elles venaient d’hommes mûrs dont la capacité d’aimer avait été asséchée par la recherche – au demeurant décevante – du plaisir. Comme pour m’arracher à mon humeur chagrine, voici qu’est arrivé ce post comme une divine surprise.

Divine est sans doute le qualificatif qui lui convient, car je pressens que le mot de « providence » ne se trouve pas par hasard dans ce post. Renaud Camus, qui n’est pourtant pas un enfant de chœur, a fait remarquer fort justement dans une page de son journal de ces dernières années que chaque fois que dans ses rencontres quelqu’un parle d’amour, il s’agit d’un chrétien. J’aime la sincérité de Renaud Camus, comme celle de Michel Houellebecq : ils ne cherchent pas à nous faire croire que le plaisir sexuel nous emmène au septième ciel. Avec Benoît Duteurtre il fait partie de ces « écrivains homosexuels » récents qui décrivent la vie gay sans en cacher toute la part de frustrations et de misères qu’elle charrie, mais sans tomber pour autant dans le sombre nihilisme qu’étalaient complaisamment à ce sujet il y a une décennie un Hervé Guibert ou un Cyril Collard. A la différence de ces derniers, fascinés par la face morbide et mortifère de la perversion recherchée comme telle, ils la subissent comme une pauvreté. Aussi leur littérature laisse-t-elle pressentir comme une nostalgie de ce que pourrait être l’amour d’amitié. Ils l’ont certainement entrevu et, même s’ils ne sont pas (encore ?) prêts à lâcher la course au plaisir pour l’obtenir, ils le regrettent car ils pressentent que le vrai bonheur est sans doute de ce côté. Quel roman marquera-t-il en ce début de siècle un tournant analogue à celui par lequel Chateaubriand fit passer ses contemporains de Choderlos de Laclos et du marquis de Sade à la virginité d’Attala ?

Voilà qu’un cœur jeune, sans doute un cœur de jeune homme, ose s’adresser à moi au nom de l’amour et de la tendresse. Mais au fond n’est-ce pas le désir premier et plus profond du cœur de l’homme ? N’est-ce pas cette demande que beaucoup ont d’abord essayé en vain de faire entendre avant de se résigner à la laisser étouffer sous le béton du plaisir dans la vie gay ? Voilà sans doute, avec ma qualité d’enseignant, ce qui explique que de mes trois amis de cœur les deux derniers se trouvent être des jeunes. Je ne les ai pourtant pas recherchés pour leur jeunesse. Dans l’amour d’amitié ce type d’amitié socratique me semble exiger de l’aîné, comme Allan Bloom l’a rappelé dans "Amour et amitié", un renoncement qui relève de la paternité. Elle explique la réserve de Socrate, qui a toujours refusé de coucher avec Alcibiade, à l’étonnement déçu de celui-ci. C’est pourquoi j’aimerais pour ma part rencontrer un ami de mon âge qui puisse encore croire à l’amour. Hélas, peu d’hommes de ma génération osent dépasser la nostalgie de celui-ci, celle dont parlent si bien Renaud Camus ou Benoît Duteurtre. La plupart d’entre eux sont depuis longtemps des retraités de l’amour et ne songent plus qu’aux dernières bribes de plaisir qu’ils peuvent encore glaner à leur âge. Quand ils n’appellent pas amour le besoin qu’ils ont de séduire un plus jeune pour oublier qu’ils deviennent vieux. Dans le domaine du cœur mon automne semble donc voué à soutenir des printemps incertains. J’en suis heureux, et pourtant j’aurais aimé partager les flamboiements de l’été indien, car la lumière d’automne est bien belle près de l’Océan. Dommage !