Choisir d'etre gay ?

vendredi, mars 30, 2007

9. Le fils perdu et retrouvé

Je l’ai retrouvé.

Nathanaël avait croisé ma vie il y a une quinzaine d’années, quand il n’était encore qu’un tout jeune homme. Il ne m’avait rien dit de son drame familial, ni de la blessure inguérissable qu’il lui avait laissée. Pourtant, je percevais avec une douloureuse acuité que sa carapace protectrice, ce personnage d’étudiant sérieux et bien sous tous rapports, cachait un cœur d’une extrême vulnérabilité. Je lui dis un jour de ne pas faire comme les insectes dont le squelette, tout extérieur, enveloppe une chair sans consistance. Cette coque a beau être dure, quand elle cède, l’intérieur de l’insecte se répand à l’état liquide. Je l’invitais à être un humain, quelqu’un à la peau sensible et vulnérable, mais à la chair charpentée par le squelette de l’intérieur. Dans nos échanges d’alors, j’essayais à maintes reprises de lui tendre une perche pour qu’il m’ouvre son cœur dans la confiance. En vain. J’avais l’impression qu’il était incapable de regarder en face l’enfant blessé qu’il portait en lui et qui pourtant me regardait tristement du fond de ses yeux, à son insu. Sa belle virilité, au demeurant naturelle et juste, lui permettait de se masquer à lui-même, sous le voile de la pudeur, son malheur d’enfant et la détresse affective qui en découlait.

Je sentais bien que Nathanaël voulait oublier ce passé présent en lui, le fuir dans une vie « normale », sans même se demander si son malheur ne le rattraperait pas sous une autre forme. En même temps, sous ses attitudes trop volontaires pour être spontanées, tout trahissait en lui un cœur désemparé. Je sentais donc peser sur nos longs échanges le silence lourd de ce qui ne pouvait être dit, ni même reconnu. Le cœur serré, je le vis partir un jour sur un chemin où, je le savais il ne tarderait pas à retrouver pour son malheur cette fragilité qu’il voulait fuir. En effet, nul ne peut sauter par-dessus son ombre et on ne se quitte pas comme on quitte une ville. Devoir le laisser aller au casse-pipe, sans pouvoir lui dire un mot, fut le plus dur. De loin, j’appris plus tard la blessure de la vie, puis celle du corps qui en résulta. Je me représentais ses souffrances et ma propre impuissance à lui venir en aide augmentait ma douleur. Je mesurai alors combien je l’aimais. J’acceptai aussi de devoir attendre en silence, comme le père de l’enfant prodigue, son improbable retour.

De longues années passèrent. Un jour j’ai reconnu au téléphone sa voix grave et mon cœur a fait un bond. Il m’appelait parce qu’il venait d’aimer passionnément quelqu’un et que cet amour impossible l’avait ravagé. Il savait que je pourrais le comprendre et l’aider. Il se croyait perdu, parce que sa carapace avait été percée. Moi, je savais au contraire qu’il commençait à être sauvé du personnage d’homme invulnérable qui l’emprisonnait depuis tant d’années. J’ai pu commencer à lui dire tout ce que je gardais dans mon cœur pour lui depuis une quinzaine d’années. Non seulement il reçoit, mais il comprend. Non sans que cela déstabilise parfois dans sa pudeur masculine le garçon timide qu’il est. Je le sens, dans l’intimité de nos longues conversations téléphoniques du soir, à ces moments où sa voix s’enroue soudain d’émotion et me signale que j’ai touché le cœur par delà sa cuirasse protectrice.

A travers un film superbe, Le temps d’un week-end d’Al Pacino, je lui ai proposé de l’« adopter » dans une relation affective dans laquelle on se choisirait réciproquement comme fils et père. Il a accepté, mais je sens qu’il a parfois peur du bonheur que cette intimité de cœur, à la douceur inconnue de lui jusqu’ici, nous apporte à l’un comme à l’autre. Il me dit redouter les souffrances qu’il pourrait me causer à l’avenir, alors que j’ai consenti d’avance à cette rançon. Le voir acquiescer chaque fois plus au bonheur d’être aimé et d’aimer en retour est ma joie de père. J’ai retrouvé le fils de ma jeunesse, celui que j’aurais pu concevoir au tout début de ma vie adulte. J’avais su que c’était lui et, avant que je puisse le lui dire, il est parti pour la région lointaine de la dénégation. Maintenant je l’ai retrouvé. Je ne crois pas qu’il y ait un bonheur plus grand. Ah, si les gays pouvaient comprendre qu’ils trouveraient, dans l’adoption d’un jeune adulte, un épanouissement de leur légitime désir de paternité bien plus réel que dans une hasardeuse « homoparentalité » ! C’est au moment où il doit devenir un homme qu’un garçon a le plus besoin de son père. Si sa propre paternité d’origine a été boiteuse, n’a-t-il pas le droit de choisir un père adoptif qui le reconnaisse et en qui il se reconnaisse ?